Sous le Signe d’un tournant

Sous le signe d’un tournant (11 août 1979)

YH Trading, ouvrières en lutte, répression et bascule politique

Le 11 août 1979, près de 200 ouvrières de YH Trading—entreprise de perruques frappée de licenciements et de fermeture—occupent le siège du Nouveau Parti démocratique (NDP) à Séoul pour réclamer le maintien de l’emploi et la régularité des salaires. À l’aube, environ 1 000 policiers anti-émeute investissent l’immeuble ; l’assaut fait une morte, Kim Kyung-suk, et des dizaines de blessées et d’arrestations. L’« YH Incident » deviendra l’étincelle d’une crise politique qui emporte la fin du régime de Park Chung-hee quelques semaines plus tard.

Par Koreance • le 2025-08-11

I. Les faits et leurs causes

Origines sociales : depuis 1975, la dégradation rapide des conditions de travail et des salaires chez YH alimente grèves et pétitions. En avril 1979, des vagues de licenciements précipitent la radicalisation ; l’occupation d’août au siège du NDP se veut à la fois abri et tribune.

L’assaut policier (11 août) : l’intervention mobilise un dispositif exceptionnel. Kim Kyung-suk meurt lors de l’opération (chute du toit selon plusieurs récits). Les dirigeantes syndicales sont arrêtées, les autres renvoyées par bus.

L’onde de choc politique : le chef de l’opposition Kim Young-sam—qui avait ouvert le siège du NDP aux ouvrières—devient la cible du pouvoir. En septembre, un tribunal lui retire la présidence du NDP ; le 5 octobre, il est exclu de l’Assemblée. Les 66 députés du NDP démissionnent en bloc. Washington rappelle son ambassadeur et exprime un « profond regret ».

De Séoul aux ports du Sud : à Busan et Masan, la colère étudiante et populaire explose mi-octobre (insurrection Bu-Ma, 16–20 oct.). Le régime chancelle ; Park Chung-hee est assassiné le 26 octobre par le directeur du KCIA, Kim Jae-gyu.

II. Le cadrage médiatique en Corée du Sud (1979)

Presse et télévision sous la tutelle du Yushin : les médias dominants présentent d’abord l’occupation comme un désordre fomenté par des « agitateurs » liés à l’opposition, minimisant la question salariale et la sécurité au travail ; le décès de Kim Kyung-suk est traité de façon lacunaire, l’accent étant mis sur la « restauration de l’ordre ». Des travaux d’historiographie soulignent le rôle prescripteur de l’État dans le cadrage et la stigmatisation des organisations ouvrières après l’incident.

Contre-récits militants : tracts, réseaux étudiants et Église catholique diffusent des témoignages sur la brutalité de l’assaut et la précarité des ouvrières ; ces versions circulent sous le manteau et nourrissent la mobilisation d’octobre. (Synthèse d’archives universitaires et de récits militants.)

Manifestation et presse, Corée du Sud, 1979

III. La presse française : comment l’événement arrive à Paris

Un prisme politique : en France, la séquence est principalement couverte via la crise institutionnelle sud-coréenne : exclusion de Kim Young-sam, démissions massives de l’opposition, et réprobation américaine (rappel de l’ambassadeur). Les papiers insistent sur l’embarras de Washington face aux atteintes aux libertés et sur la montée des affrontements étudiants après l’affaire YH.

Relais de l’opinion internationale : après l’assassinat de Park, les correspondances reviennent sur la chaîne causale : YH → expulsion de Kim → émeutes Bu-Ma → crise du régime.

IV. Échos internationaux

États-Unis : la Carter Administration, soucieuse de droits humains, adresse des avertissements à Séoul après l’expulsion de Kim ; rappel de l’ambassadeur et pressions diplomatiques alors que la Guerre froide pousse à l’équilibrisme. (Synthèse d’études et dépêches reprises par la presse française.)

Lectures académiques ultérieures : recherches anglophones et bases de données de mouvements sociaux qualifient YH d’événement-pivot de la démocratisation, porté par des ouvrières et transformé en crise d’hégémonie du régime.

Conclusion

L’incident YH n’est pas un simple fait divers social : c’est une brisure où le monde du travail—des femmes—entraîne la politique dans son sillage. Parce qu’il met à nu la violence d’un système, il fracture le consensus, provoque l’isolement externe du régime et nourrit la chaîne : colère ouvrière → crise de légitimité → soulèvement → basculement. En cela, l’affaire YH demeure un miroir de la démocratisation sud-coréenne : du local au national, du social au politique, du silence imposé à la parole publique.

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